Les passages à niveau

Le public a bien vu qu’on cherchait à mettre des bâtons dans les roues des trains pour retarder la réouverture de la ligne Oloron–Canfranc, les dernières mesures dilatoires touchaient aux passages à niveau de la RN 134. Selon une nouvelle loi, il était interdit de construire une nouvelle voie avec des passages à niveau, ce qui revenait à interdire la ligne Goya, bien qu’elle ait 81 ans cette année. Il était nécessaire de faire le point sur le sujet :

Les passages à niveau

des obstacles surtout psychologiques (sauf en Suisse)

Le passage à niveau (PN), comme son nom l’indique bien, est le lieu du franchissement d’une voie ferrée par une route (passage) au même niveau (à niveau) donc ni au-dessus (supérieur) ni au-dessous (inférieur). La première conséquence évidente en est la possibilité de collision entre les véhicules ferroviaires et routiers à cet endroit-là. Les véhicules ferroviaires ayant pour particularité un coefficient d’adhérence au sol largement inférieur à celui des véhicules routiers (rançon d’un très faible coefficient de frottement pour les premiers par rapport aux seconds, d’où leur célèbre sobriété énergétique), il leur est impossible de circuler « à vue », sauf à 30 km/h environ.

L’extrême dangerosité d’une éventuelle collision a conduit dès les débuts du chemin de fer à choisir une solution radicale : l’interdiction temporaire du passage routier, souvent physiquement par des barrières, sauf dans les cas de toutes petites routes ou chemins. Pour ces derniers, le PN est traité comme une intersection routière, sans aucun mécanisme de barrière ni signalisation lumineuse ; un panneau routier dit « croix de Saint-André » joue le rôle du panneau « Stop » d’une intersection.

Pendant de longues années, les PN étaient « gardés » : un agent était chargé de manœuvrer les barrières (lourdes barrières rouges et blanches), au moyen d’un mécanisme à manivelle lorsqu’elles étaient basculantes, directement lorsqu’elles étaient roulantes. L’arrivée d’un train étant signalé par le tintement d’une sonnerie elle-même déclenchée par d’ingénieux dispositifs électro­mécaniques placés sur la voie, actionnés par les roues du train. La présence de l’humain évitait, presque à coup sûr, un emprison­nement d’un véhicule entre les barrières, pourtant manœuvrées simultanément et de longueur égale à la largeur de la chaussée. L’humain(e) en question était logé(e) avec toute sa famille dans une de ses maisonnettes au charme discret sises à proximité immédiate des PN.

De nos jours, il n’y a pratiquement plus un seul PN gardé, et le « PN à SAL » règne en maître sur les voies de France et de Navarre. SAL : Signalisation Automatique Lumineuse. Il s’agit donc d’un « robot », dont les barrières se ferment dès l’approche du train (détecteur placé à une distance cohérente avec la vitesse maximale des trains sur la portion de ligne concernée) et se rouvrent dès le dégagement par celui du segment de voie de quelques mètres croisant la route (« circuit de voie court »). Pour pallier à un éventuel (bien que très peu probable) non-abaissement des barrières, le PN est équipé de deux puissants feux rouges qui clignotent dès la détection de l’approchent du train, quelques secondes avant le début de la descente des barrières. Tant que les barrières ne sont pas en bas, une puissante sonnerie retentit. Le code de la route est formel : c’est le clignotement des feux qui à lui seul signifie l’interdiction totale de franchissement du PN. L’humain ayant disparu, parti à la ville dans son HLM manger du poulet aux hormones*, le risque de coincement d’un véhicule entre les barrières devint réel. De ce fait, les barrières ne font plus que la moitié de la longueur de la chaussée, afin de permettre de continuer après un franchissement un peu « tardif ». C’est le PN à SAL 2 : PN à deux demi-barrières, chacune d’elles barrant la moitié droite de la chaussée en abordant le PN. Certains PN « importants » sont du type SAL 4, c’est-à-dire à quatre demi-barrières, les deux demies de gauche s’abaissant après les deux premières, le tout au prix d’un cycle plus long en temps.

Dernière subtilité : les demi-barrières droites (SAL 2 ou 4) sont équipées d’un lest au niveau du pivot dont l’effet est de les abaisser ; Elles sont maintenues ouvertes par l’action d’un frein, lui-même serré par un électro-aimant. Il en résulte qu’en cas de panne prolongée de l’alimentation électrique du PN (style tempête…), après épuisement des batteries, le frein se desserre, et les barrières s’abaissent, fermant le PN. Grand principe de base de la signalisation : la panne doit conduire à un état de sûreté maximal. Pour le SAL 4, les deux demi-barrières gauche ont le lest placé de façon à ouvrir la barrière.

Détail pratique : tout PN est équipé d’un téléphone permettant d’appeler le service ferroviaire en cas de panne. Donc, même sans votre portable, vous pouvez avertir quand il est évident que le PN est en panne.

Pour les toutes petites lignes, parcourues à faible vitesse, il existe le PN à SAL FC, FC pour « fermeture conditionnelle ». Dans celui-ci, la fermeture est déclenchée par un bouton poussoir au bord de la voie près du PN ou par une commande radio, un panneau au bord de la voie « Cde Radio » signalant l’endroit d’envoi du signal. Le franchissement du PN par la circulation ferroviaire est alors subordonné à la présentation de deux feux verts fixes dont l’allumage est tributaire du contrôle de fermeture des deux demi-barrières.

Les propositions du CRÉLOC

Malgré toute l’ingéniosité déployée pour rendre le plus fiable possible le fonctionnement des PN, force est de constater qu’ils sont à l’origine d’un grand nombre d’accidents chaque année. À l’origine ? Voire ! En fait pas plus que les intersections diverses que l’on peut rencontrer sur le réseau routier, et ce pour la même raison : La capacité presque illimitée qu’a l’être humain à se considérer comme invulnérable et donc à adopter des comportements totalement déraisonnables. Et en particulier lorsqu’il se trouve au volant d’une automobile (ou au guidon d’une moto…) ; n’oublions pas ce que disait le regretté René Dumont : « La voiture, ça tue, ça pollue et ça rend con. » Bref, dans l’immense majorité des cas, l’accident est dû à un non-respect du code de la route. Et c’est ainsi qu’après « l’accident de trop », notre brillant ministre des transports a décidé de proscrire tout PN sur toute nouvelle ligne ferroviaire.

Autant cette initiative est raisonnable sur des lignes parcourues à des vitesses soutenues, et d’ailleurs déjà bien avancée (plus de PN sur les lignes à vitesse supérieure à 160 km/h, de moins en moins sur les autres, de nombreux PN étant supprimés chaque année du réseau) autant elle est contestable sur les autres lignes. En fait, elle revient à sanctionner le mode de transport qui n’est pas à l’origine des accidents, dans le souci de ne surtout pas pénaliser le mode routier ; Y a-t-il un texte interdisant la construction de toute nouvelle route avec des croisements ? Généralisant l’usage de l’échangeur ? Non, bien sûr ! Résultat : les devis de réouverture de nombreuses lignes abandonnées font plus que doubler, enterrant définitivement ces projets, faisant même disparaître leurs associations de défense.

Dans le cas du Canfranc, il est remarquable de constater que le seul passage dénivelé construit l’a été par la Région Aquitaine, à ses frais, d’ailleurs sous les quolibets des « amis du Canfranc », l’administration des routes s’étant, elle, bien gardée de transformer les « emprunts » dits « réversibles » en passages supérieurs ou inférieurs…

Le CRÉLOC fait donc les deux propositions suivantes,
non limitatives :

Ajouter aux barrières un obstacle physique supplémentaire, de nature à rendre presque totalement impossible le passage d’un véhicule routier lorsqu’il est activé, après l’abaissement des barrières bien sûr. C’est ce qui existe en Russie [voir photo], d’après sa configuration, il n’est d’ailleurs pas impossible que cet obstacle soit franchissable dans un sens, se rabattant sous le poids du véhicule ; dans l’autre sens, en revanche… bienvenue aux chicaneurs !

Système russe de protection impérative.

Détail des panneaux relevants. Un tel système existe aussi sur les têtes de ponts mobiles tournants pour arrêter les véhicules lorsque le pont est ouvert à la navigation.

 

Équiper les PN d’un système de caméra numérique, ne filmant que lorsque le PN est activé (feux rouges) histoire de pouvoir envoyer le courrier du Trésor Public aux audacieux, sans oublier la pompe à points, bien sûr. Système probablement bien moins cher que la construction d’un pont ! Car malheureusement, il se dit que les « chicaneurs » sont des habitués, coutumiers du fait. Et si vous avez la certitude que tout franchissement de PN dont les feux clignotent depuis x secondes se traduira par une somme rondelette à payer et quelques points en moins, nul doute que vous serez vigilant !

Petit calcul simple : si le cycle du PN dure quatre minutes, avec 20 trains par jour, cela fait 80 minutes par jour ; les passionnés d’informatique se feront un plaisir de calculer tous les combien il faudra récupérer la mémoire.

PATRICK MARCONI
vice-président du CRÉLOC
chargé des questions techniques

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(*) Les éventuels poulets échappés par mégarde de la maison du garde-barrières n’ont jamais constitué un réel inconvénient pour le rail, ni pour la route d’ailleurs. Par contre le lien social a disparu. On se souvient de la garde-barrières du PN 87 qui, le 25 mai 1920, recueillit le président de la République Paul Deschanel, tombé du train par accident, et encore en pyjama. Elle le soigna, le réconforta — peut-être avec du lait de poule — et le mit au lit en attendant les autorités. Elle déclara à la presse : « J’avais bien vu que c’était un monsieur, il avait les pieds propres. » C’est un trait qui montre qu’en haut lieu, on a tort d’ignorer l’humanisme des gardes-barrières… [n. d. l’op.].

espUn petit tour chez les Helvètes

espLes Suisses, on le sait, ont tout misé sur le rail, leur pays étant comme une vallée d’Aspe au centuple, mais avec beaucoup plus d’habitants et une fragilité de l’environnement analogue à la nôtre. Ce n’est pas dans cette nation qu’on va entendre de longs gémissements sur les embarras causés par les chemins de fer.

Pour avoir une idée des passages à niveau suisses, voici quelques illustrations avec des légendes adaptées :

Ce n’est pas la vallée d’Aspe, la route est trop petite,
pas de barrières, un feu et la croix de Saint-André suffisent.

Ce n’est pas le rond-point de Bidos mais c’est en ville,
deux barrières simples, le platelage se confond avec la chaussée.

Ce n’est pas la la gare de Bedous, mais il y a deux voies et un quai,
les barrières sont doubles, elles sont fermées, le train va passer.

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